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Stèles de Victor Segalen       

Victor Segalen


La Stèle : monument de métaphysique dressé vers le ciel

Les Stèles de Segalen, haut dressées, celles du bord du chemin faites de déférence, tout amicales et s’offrant « sans réserve aux passants, aux muletiers, aux conducteurs de char »(Segalen, Stèles) et dont l’Autre est le centre, avec celles du Milieu, où le poète tout centré se place les yeux rivés au ciel, font écho avec ce « même [nervalien qui] possède ici un magnétisme qui lui permet d’entrer immédiatement en contact avec son analogue le plus lointain. » (Richard, Poésie et profondeur) L’Autre et sa possible relation avec l’intériorité cosmique du poète, dans ce qui le fait lointain, semble être tout aussi important pour Nerval que pour Segalen. Voici que cet extrait d’Aurélia :


« Les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacle la chaîne infinie des choses créées ; c’est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles » (De Nerval, Gérard, Les filles du feu)       


nous fait tout de suite penser au rhizome deleuzien qui offre un drap d’étendue où ni limites ni centres ne viennent déranger l’accomplissement. Et c’est bien en cela que le feu originel qui anime le monde et son poème n’est pas un objet situable ni dans le temps ni dans l’espace, car il paraît n’avoir laissé aucune piste pour les guetteurs et les explorateurs, et il serait finalement vain de le poursuivre. Foyer à l’ubiquité insaisissable donc, son surgissement dépend des multiples déterritorialisations relatives des choses et des événements qui procèdent par déterritorialisation, reterritorialisation, continuellement, circulairement. Ce que le feu est au monde pourrait bien correspondre à ce que le livre est au monde, car comme le brasier, « le livre n’est pas image du monde, suivant une croyance enracinée. Il fait rhizome avec le monde, il y a évolution aparallèle du livre et du monde, le livre assure la déterritorialisation du monde, mais le monde opère une reterritorialisation du livre, qui se déterritorialise à son tour en lui-même dans le monde (s’il en est capable et s’il le peut). » (Gilles Deleuze, Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux)

Le cercle : de la danse à la ronde


Ce mouvement fait songer ici encore au cercle, ou à la ronde du danseur qui répète sans cesse des pas qui enclosent le monde dans les traces qu’il parsème minutieusement. Et dans Stèles, le poète construit et plante ces architectures droites rivées vers le cosmos lointain pour tenter une relation entre deux points qui vont de son intériorité vers le monde — ou inversement —, car « la première évidence sous laquelle se livre le monde, pour Segalen, c’est celle de la distance. » (Doumet, Christian, Victor Segalen : l’origine et la distance)

Ce voleur de feu dont le secret intérieur se confond avec l’énigme de l’univers, ne peut alors agir seul ; il se fait multiples dans l’union des innombrables dédoublements dont il fait l’expérience, pour finalement consteller le ciel de ses poèmes.