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Héliogabale ou l’anarchiste couronné d’Antonin Artaud : Entre histoire, mythe et désir autobiographique

Antonin Artaud

Antonin Artaud est envahi par un mal être qui renvoie à son existence métaphysique, mais aussi à sa souffrance physique due à sa santé vacillante. Dès lors, il se saisit de tout ce qui fait son corps pour l’écrire et le poétiser. La vie semble lui être un périlleux mythe où l’on dérive constamment, et c’est ce qu’il fait : dériver tant en écriture qu’en homme existant parmi les hommes et les choses.    

Il renonce assez tôt à son identité pour en inventer de nouvelles « en s’accordant le crédit du mythe et de la fiction »[1] , et c’est sûrement avec ce crédit qu’il écrit Héliogabale ou l’anarchiste couronné. Il considère sa vie comme une suite de périples qu’il entame tour à tour, à travers les différentes postures qu’il adopte en tant qu’acteur, dessinateur, écrivain, voyageur et souffreteux.

Exister pour l’autre lui importe peu. Ce qui semble lui importer le plus, c’est la distanciation qui peut exister entre sa personne et le monde et sa personne et lui-même. Et il le dit déjà au tout début de sa « carrière » dans l’une des célèbres lettres qu’il adresse à Jacques Rivière le 24 janvier 1924 : « il m’importe peu d’avoir l’air d’exister en face de qui que ce soit. J’ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi. »   

     
De cette affirmation écrite à Jacques Rivière l’on pourrait deviner l’une des raisons qui ont fait qu’Antonin Artaud eut envie d’écrire son propre Héliogabale — entre autres —, dans un style violent, ardent et alchimique. L’auteur n’arrivant pas à se définir vraiment semble vivre une crise d’authentification de soi qui met en place tout un espace emplit d’identités historiques, poétiques, métaphysiques, qui nourrissent et construisent son sentiment multi-identitaire. Dans Les nouvelles révélations de l’être par exemple, texte écrit en 1937, le voici qui se projette comme prophète annonciateur de l’apocalypse, détenteur d’une nouvelle qui plongera dans la catastrophe ce qui reste du monde. « L’imminence pressentie d’un cataclysme général […] entraîne Artaud à se présenter indirectement, à travers les cryptonymes d’une phrase qui supplée les lacunes de la nomination. »[2] Il termine les sentences du désastre des nouvelles révélations de l’être en se présentant comme « le Torturé (qui) est devenu pour tout le monde le Reconnu, le Révélé ». Artaud disparaît derrière cet annonciateur, ce Révélé, et « ce moment sacrificiel, portant à l’extrême la révolte artaudienne, conjugue une vie de souffrance et le destin d’une civilisation. »[3] Il est à noter que Les nouvelles révélations de l’être est paru « sans nom d’auteur »[4] ce qui démontre l’intention du poète à ne pas vouloir être identifié comme Antonin Artaud, mais plutôt comme quelque chose de dispersé et de total à la fois, et qui trouve sa matérialité dans les éléments fragmentaires que lui seul peut recueillir dans la distance qui le sépare de lui-même, pour ensuite les présenter aux autres. Et c’est sans nul doute ce qu’il fait dans Héliogabale ou l’anarchiste couronné paru en 1934 où le personnage couronné, Empereur du IIIe siècle d’une Rome finissante, décrit avec beaucoup de détails et d’abnégation, pourrait bien servir de miroir à Artaud. Mais la fonction de ce miroir utilisé par l’auteur n’est pas de réfléchir une image parfaitement restituée de quelconque parties qui le constitueraient déjà, c’est plutôt de peindre à même le verre et progressivement un portrait d’Héliogabale-Artaud qui se fera au gré de la poésie et du mythe. Ainsi, l’Empereur est « une autre figure médiatrice, […] (qui) permet d’approfondir l’analyse de ce procès identificatoire. »[5] écrit Olivier Penot-Lacassagne. Mais cette volonté de se décrire et de se présenter à travers un personnage historique, amène Artaud à entreprendre de sérieuses recherches, approfondies et très documentées. L’effort est considérable et la tâche ardue.    

Le Clézio considère Héliogabale comme étant « le plus construit et le plus documenté des écrits d’Antonin Artaud ».[6] En effet, Artaud « s’obligea à de longues et patientes recherches et lut un grand nombre d’écrits tant anciens que modernes. J’y travaille toute la journée, écrit-il à Anaïs Nin le 13 avril 1933, et je suis pris tout le jour par des recherches dans les bibliothèques.[7]


[1] Penot-Lacassagne, Olivier, Antonin Artaud : variations sur un nom, in Poétique de l’indéterminé : le caméléon au propre et au figuré, études rassemblées et présentées par Valérie-Angélique Deshoulières, éd. Associations des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1998, P. 287

[2] Id., P. 291

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Penot-Lacassagne, Olivier, Antonin Artaud : variations sur un nom, in Poétique de l’indéterminé : le caméléon au propre et au figuré, études rassemblées et présentées par Valérie-Angélique Deshoulières, éd. Associations des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1998, P. 293

[6] Artaud, Antonin, Héliogabale ou l’anarchiste couronné, quatrième de couverture, éd. Gallimard, 1979

[7] Artaud, Antonin, Héliogabale ou l’anarchiste couronné, dans Notes, éd. Gallimard, 1979, P. 135